Aujourd’hui j’ai le plaisir d’interviewer Etienne qui est un investisseur value émérite, ex-blogueur et membre de l’équipe de l’Investisseur Français. Etienne a partagé dans le Club des analyses pertinentes et c’est grâce à lui que j’ai pu encaisser une plus-value de 182% en 14 mois sur le titre Plastivaloire (acheté 27,90€ en juin 2014 et vendu à 78,68€ en août 2015) que j’évoquais dans le reporting d’août 2015. Et cela sans compter un dividende 4% versé sur la période, le tout logé dans mon PEA
Etienne est un ovni dans le monde de l’investissement, car c’est un autodidacte qui s’est formé à force de lecture et de travail.
Bonjour Etienne, quel est ton parcours d’investisseur : depuis quand investis-tu et quelle est ta performance ?
Bonjour Tanguy. Merci de m’accueillir sur Investir Et Devenir Libre.
J’ai commencé à investir au printemps 2010, un peu par hasard. Je n’avais absolument aucune connaissance dans le domaine de l’investissement en bourse, si ce n’est ce qui était véhiculé dans les médias, autant dire pas grand-chose et surtout beaucoup de préjugés.
J’ai parcouru un magazine par curiosité un jour et je me suis littéralement passionné pour le sujet. Aujourd’hui, en mêlant travail et chance, mon portefeuille a retourné un rendement annualisé de 20% sur ces cinq dernières années.
Comment t’es-tu formé ?
Mon principal avantage a été de n’avoir absolument aucun background en lien avec l’investissement. J’ai ainsi pu construire ma philosophie d’investissement sans avoir à démolir d’éventuelles conceptions universitaires souvent trop théoriques.
Je me suis formé sur le tas, en lisant blogs financiers, livres, études académiques et en écrivant. Comme tu l’as souligné en introduction, j’ai tenu un blog pendant quatre ans et cette étape a été essentielle pour moi. J’encourage tout le monde à écrire, même si ce n’est rien que pour soi. Formaliser ses idées par écrit permet de rationaliser son process d’investissement, et d’objectiver ses décisions, bonnes ou mauvaises. Et puis, en ce qui concerne le blog, c’est aussi un formidable vecteur pour rencontrer d’autres investisseurs, ce qui souvent fait défaut quand on commence à investir.
Après j’ai eu la chance de faire la première formation de Serge [NDLR : que vous avez déjà découvert sur le blog], très complète, très dense et qui m’a permis de poser les bonnes bases avant d’aller plus loin.
Le plus souvent, lorsque l’on débute on veut rapidement acquérir des techniques. Finalement ce n’est pas le plus important pour réussir à long terme. Ce qui me semble crucial est d’avoir avant tout une bonne philosophie d’investissement, de bons principes, et plus généralement du bon sens. Il est aussi vital de bien se connaître : l’investissement en bourse est fait de décisions à prendre, d’émotions à gérer, d’erreurs à analyser.
Et puis j’ai la chance incroyable d’apprendre tous les jours dans le club en échangeant avec les membres et en analysant des entreprises. C’est un puissant catalyseur dans mon évolution.
Quels sont les livres que tu conseillerais pour un apprenti investisseur ?
J’ai fait mienne la maxime de Buffett : « Lire 500 pages chaque jour. C’est comme cela que la connaissance s’acquiert. Cela se construit comme les intérêts composés. » Je ne lis pas 500 pages tous les jours, mais je m’efforce de lire le plus possible : biographies, analyses, histoires d’entreprise, rapports annuels…
Maintenant, en termes de livres pour un apprenti investisseur je conseillerais, si nécessaire, L’Anglais Pour les Nuls…Très sérieusement les publications de qualité en langue française sont rares et leur coût est souvent prohibitif par rapport aux versions anglaises. Et que dire des blogs et vidéos…si vous voulez regarder une interview de Warren Buffett, il n’y a pas d’autre choix.
Sur le fond maintenant, voici cinq lectures qui me semblent appropriées pour un apprenti investisseur :
- Et si vous en saviez assez pour gagner en Bourse écrit par Peter Lynch, l’un des meilleurs gérants de fonds de l’histoire, vulgarise de manière très efficace des concepts clés de l’investissement intelligent en bourse.
- Les lettres aux actionnaires de Warren Buffett (disponibles en Anglais uniquement). Elles constituent une véritable mine d’or. On y trouve références historiques, réflexions philosophies, présentations de sociétés, cours de comptabilité et de finances, psychologie….Tout y est, en plus c’est gratuit !
- The Little Book of Behavioral Investing: How not to be your own worst enemy de James Montier. Ce livre assez méconnu traite à merveille des biais psychologiques qui influent sur l’esprit humain.
- Le petit livre pour investir à bon prix de Chris Browne synthétise parfaitement les fondamentaux de l’investissement dans la valeur.
- L’investisseur intelligent. Un livre de conseils pratiques
de Benjamin Graham, la bible de l’investissement. Si vous intégrez et suivez les principes d’investissement développés dans ce livre pendant plusieurs années, votre patrimoine devrait croître significativement.
Peux-tu nous exposer les grandes lignes de ta thèse sur Plastivaloire ? J’en profite pour te remercier au passage 🙂
Je t’en prie Tanguy, tu n’as pas été le seul à en profiter d’ailleurs.
L’analyse date du printemps 2014. Plastivaloire accusait des ratios de valorisation très faibles et un parcours en bourse peu flatteur par rapport aux autres équipementiers automobiles français. Une bonne partie d’entre eux ont réalisé des performances extraordinaires ces cinq dernières années.
C’était assez logique au final dans la mesure où son portefeuille de clients était très concentré sur les constructeurs français qui ont pâti, plus que d’autres, de la conjoncture économique atone du pays. Plastivaloire est un plasturgiste et réalise un quart de son chiffre d’affaires dans des biens de grande consommation, un secteur également peu dynamique.
En outre, des restructurations assez importantes ont été réalisées. Elles ont directement impacté la capacité bénéficiaire de l’entreprise, mais de manière purement conjoncturelle. Parallèlement l’endettement a diminué et le portefeuille clients s’est étoffé. On pouvait donc penser que la situation aller se normaliser et que les profits repartiraient à la hausse, ce qui fut finalement le cas.
Plastivaloire a réalisé des acquisitions stratégiquement intéressantes au bon moment et à très bon prix. Le PDG, M. Findeling, est l’actionnaire majoritaire et gère très bien son entreprise. Pour preuve : des rachats d’actions opportunistes ont été opérés en pleine crise financière. Lesdites actions ont ensuite été revendues avec une plus-value, ce qui a contribué à renforcer la solidité financière du groupe.
Bref, on pouvait voir qu’il y avait beaucoup d’étoiles alignées. Nous n’avons pas été les seuls à nous en apercevoir : le cours de bourse a triplé entre le moment de l’analyse et le plus haut de l’été 2015.
Quelle est ta philosophie d’investissement ? Quel genre de situations cherches-tu ?
Disons que la base est d’acheter 1€ pour 50 centimes. Ensuite il y a des variations possibles. Je suis très ouvert et flexible dans mes investissements pour peu que je comprenne l’entreprise dans laquelle j’investis, que la valeur soit bien là et que le prix proposé soit correct.
Mes investissements préférés restent les entreprises dont le ou les dirigeants sont également les propriétaires. L’expérience et les études académiques montrent que ces entreprises surperforment à long terme. Je préfère que mes intérêts soient alignés avec un manager qui a mis son argent sur la table plutôt que d’être soumis au bon vouloir d’un simple salarié (en moyenne : certains travaillent particulièrement bien).
J’aime que l’entreprise opère dans un secteur peu sexy, hors-radar, ennuyeux, voire même repoussant. Mon exemple favori est l’entreprise Guillin qui commercialise des emballages alimentaires en plastique. C’est moins excitant qu’Apple, c’est certain.
Enfin, ce que j’apprécie par-dessus tout c’est de trouver une net-net [NDLR : une entreprise qui cote moins que la valeur de ses actifs courants nets de dettes] profitable avec une cerise sur le gâteau comme de l’immobilier sous-valorisé ou une option de croissance prometteuse. Tout cela obtenu gratuitement bien entendu. C’est assez rare, mais quand on s’en donne la peine, on trouve.
Dans un autre registre, j’apprécie également les situations de restructuration : il y a très peu d’avis positifs dans un premier temps, puis l’entreprise sort la tête de l’eau. Les rendements peuvent être conséquents avec une prise de risque limitée.
Comment arrives-tu à battre le marché ? Quel est ton « avantage concurrentiel »
Etienne: Ces cinq dernières années, réaliser 20% de rendement n’a rien de fabuleux. Certains ont fait mieux que cela. Sur 10 ans, ce sera déjà plus révélateur.
Plus que la performance brute, ce qui importe c’est la manière dont elle est réalisée. 18% par an en limitant la prise de risque me semble préférable à 20% obtenu avec une prise de risque élevée ou un processus qu’on ne maîtrise pas, par exemple, simplement par le fruit du hasard.
Pour revenir à ta question, le premier avantage que nous (les investisseurs particuliers) avons est celui de la taille. Nous n’avons pas plusieurs centaines de millions ou des milliards à gérer. Nous pouvons donc nous intéresser à toutes les entreprises. Et comme il y a mécaniquement plus de petites entreprises et qu’elles réalisent souvent de meilleures performances en bourse, nous augmentons considérablement nos chances de succès.
Ensuite, nous n’avons aucune contrainte en termes d’instruments, de secteurs, de géographie, de pondération…C’est un avantage considérable par rapport aux gérants professionnels qui sont finalement assez contraints dans leur gestion. Et puis surtout, je n’ai pas de client, à part moi-même. Autant de pression en moins et de temps consacré à des tâches plus productives.
Est-ce que tu investis uniquement sur les actions ou sur d’autres supports (matières premières, obligations,…) ?
Je n’ai pas de contraintes a priori. Dans les faits je n’investis que dans des actions, mais cela ne veut pas dire que ce sera le cas tout le temps. Je pense en particulier aux obligations.
Par contre, je ne touche pas à certains secteurs d’activités par manque d’affinité et d’expertise. Cela concerne tout ce qui touche aux matières premières, les pharmas, les pétrolières et parapétrolières. J’ai l’impression, peut-être à tort, que c’est une affaire de spécialistes. Mais je ne suis pas totalement fermé. Si un jour je trouve une excellente opportunité, pourquoi pas étudier la question.
Je crois qu’il est très important de savoir reconnaître ses limites et de se concentrer là où l’on possède un avantage, aussi maigre soit-il.
Que penses-tu des marchés aujourd’hui ? Est-ce le bon moment pour investir ?
Le meilleur moment pour planter un arbre c’était il y a 20 ans, le second meilleur moment c’est maintenant. Quand on recherche des entreprises, individuellement, on ne regarde pas les marchés dans leur ensemble, car, en cherchant bien, on peut trouver. Il y a toujours matière à faire.
Pour un investisseur il est évident que la situation est beaucoup moins intéressante que ces cinq dernières années, mais les idées sont malgré tout plus nombreuses que le cash disponible. C’est un peu frustrant, mais c’est aussi un bon moyen d’être plus sélectif.
Que conseillerais-tu à quelqu’un qui adhère à cette approche d’investir dans la valeur et qui voudrait se lancer en bourse ?
Je l’encouragerais avant tout à se jeter à l’eau, car c’est souvent le plus difficile. On a de la peine à croire que cela fonctionne depuis plus d’un siècle et que la réussite soit toujours au rendez-vous. Et pourtant…
Bien sûr, il faut savoir prendre son temps et ne pas faire n’importe quoi. J’aime relire très fréquemment cette citation de Benjamin Graham : « Il y a deux façons de faire en bourse. S’appauvrir rapidement ou s’enrichir lentement ».
Il n’y a pas de miracle, votre meilleur avantage sera votre capacité à vous former et à travailler. Nul besoin d’être un génie pour réussir. Le travail, la rigueur et la persévérance sont de bien meilleurs alliés que le talent et l’intuition. Tout le monde peut y arriver, à condition de s’en donner les moyens.
Nous avons l’avantage de vivre une époque où l’information et la connaissance sont à portée de clic. Ce serait dommage de s’en priver. Lire, se former, questionner, analyser des entreprises…Voilà les clés de la réussite.
Tu fais partie de l’équipe de L’Investisseur Français, peux-tu nous en dire plus ?
C’est une chance unique que de faire partie de cette aventure. Non seulement mes camarades et moi-même partageons une passion commune, mais nous avons l’immense privilège de pouvoir la partager également avec des centaines de personnes. Les membres du club habitent à Paris, Nantes, New York, en Thaïlande, en Australie. Ils sont agriculteurs, étudiants, chefs d’entreprise, gestionnaires professionnels, professeurs, ingénieurs. Ils ont entre 20 et 80 ans. Il n’y a aucune barrière géographique, d’âge ou encore socioculturelle. C’est réellement formidable ! Tanguy, tu peux d’ailleurs en témoigner.
Le service est complet et chacun y trouve son intérêt. Le débutant trouvera de nombreux outils pédagogiques telles nos deux formations et des réponses rapides et précises à ses questions. L’investisseur aguerri challengera les thèses d’investissement avec les autres membres chevronnés. Celui qui a moins de temps à y consacrer bénéficiera des analyses hebdomadaires et du suivi des entreprises réalisées par les membres de l’équipe. Celui qui aime lire se plongera dans notre revue mensuelle [NDLR : L’Aparté]. Et puis tout le monde profite de la communauté, l’expérience collective apporte beaucoup de valeur.
Aurais-tu une idée d’investissement que tu voudrais partager avec les lecteurs?
Ce n’est pas ce qui manque…Je ne serais pas très original si je parlais de Sears alors je vais plutôt évoquer d’une entreprise industrielle assez méconnue, mais qui pourtant a de très nombreuses qualités.
Elle commercialise des machines-outils utilisées dans le cadre de la construction de bâtiments et a quasiment une position monopolistique à l’échelle mondiale. Leur présence était presque exclusivement aux US avant la crise. L’activité a bien entendu beaucoup souffert.
Depuis, le management a fait un travail remarquable : ils ont totalement annulé l’endettement du groupe, coupé dans les coûts et continué à investir. Malgré la reprise aux US et l’internationalisation de leurs offres, les ventes retrouvent à peine leur niveau de 2007.
Cependant, trimestre après trimestre, les excellents résultats s’enchaînent. Le groupe vend plus de machines et plus cher. Bien que les ventes augmentent fortement, les dépenses opérationnelles sont contenues, ce qui propulse la marge opérationnelle à près de 25% aujourd’hui.
Ainsi, la rentabilité des capitaux investis est en nette hausse. Tous les feux sont au vert. Le cours a fortement rebondi depuis la crise, mais mon analyse me laisse à penser que l’entreprise a encore de beaux jours devant elle.
Merci, Etienne pour cette interview
Merci à toi, Tanguy, et à très bientôt.
Si vous avez aimé cette interview, merci de la partager avec un(e) de vos amis 🙂
Ressources citées dans l’interview:
- Le site de L’Investisseur Français
- L’Anglais Pour les Nuls
- Et si vous en saviez assez pour gagner en Bourse de Peter Lynch
- Les lettres aux actionnaires de Warren Buffett
- The Little Book of Behavioral Investingde James Montier.
- Le petit livre pour investir à bon prix de Chris Browne
- L’investisseur intelligent de Benjamin Graham
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Bonjour,
Je trouve qu’Étienne est un bel exemple à suivre ! Il s’est formé sur le tas, comme il le dit si bien, et aujourd’hui, ses investissements sont plus que rentables, c’est hallucinant ! Merci, Tanguy, d’avoir partagé avec nous cette interview très intéressante